Lors d’une journée consacrée aux douleurs de la hanche, les participants ont été invités à écouter l’histoire de leur douleur. Même ceux qui n’en ressentaient pas à ce moment-là. Après une première description relatant des aspects cliniques, l’échange a pris rapidement une note plus personnelle, des histoires ont pris forme, certaines ressurgissant d’un passé lointain.
La dame sur laquelle j’effectuais nos travaux pratiques n’avait aucune douleur particulière à signaler au niveau de sa hanche et de son bassin (elle assistait à la journée pour mieux aider ses patients) et pensait n’avoir rien à raconter. Au toucher, son bas-ventre se présentait dur et rigide. Manifestement, son corps n'exprimait pas le même avis. Finalement, après un moment, son corps, lui, a commencé à raconter son histoire. D’abord par des sensations partout dans le corps qu’elle décrivait ainsi: « ça tire, ça gargouille, ça picote, ça s’ouvre, ça devient lourd, ça devient léger…». Puis j’ai senti sous mes mains une détente tissulaire et un mouvement fluidique. C’est à ce moment-là que les mots ont commencé à sortir : une histoire de jeune fille (la dame est d’âge mur maintenant), ses premières amours, l’insécurité… Toute cette période de sa vie, toutes ses mémoires gardées comme un trésor au coeur de son plancher pelvien. Tandis qu’elle racontait son histoire, son corps se ré-organisait, se repositionnait, relâchait la tension. A la fin du traitement, la dame a constaté avec étonnement que son épaule était plus souple et moins douloureuse. Une conséquence du relâchement du bassin…
Une autre dame, elle aussi d’âge mur, n’a d’abord rien trouvé à raconter non plus. Elle n’avait pas de problème, déclarait-elle. Sa hanche lui faisait souvent mal mais elle s’était habituée et « ce n’était pas si grave que ça », insista-t-elle sur un ton désintéressé. Il est toujours surprenant pour moi de voir à quel point nous nous habituons à la douleur, et dans tous les cas c’est une invitation à approcher le corps avec encore plus d’attention et de bienveillance. Le bassin de cette dame s’est exprimé dès le premier contact : pas de circulation des fluides et une hanche qui n’avait aucune mobilité, figée comme un bout de bois. Il apparaissait que cette dame n’avait aucune envie d’entrer dans son histoire, peut-être trop douloureuse. Mais il n’est heureusement pas indispensable qu’une mémoire doive surgir à la conscience d’un patient pour être libérée. Ce sont les mains du thérapeute - en l’occurrence les miennes - qui s’offriraient à une écoute empathique de l’histoire silencieuse. Bientôt commencèrent à surgir du corps de la dame des histoires de guerre, d’absence et de manque. J'’ai accueilli dans mes mains cette histoire transgénérationnelle, sans dialoguer et ai donné l'espace au corps pour mobiliser les forces qui lui sont inhérentes. La dame m’a confiée à la fin du traitement que son grand-père et son père étaient à la guerre et les temps avaient été très difficiles. C’est toujours avec émerveillement que je constate l’action libératrice d’une mémoire inscrite dans une structure corporelle, permettant une re-organisation de l'organisme et des systèmes concernés, et dans le cas de cette dame, retaurant une bonne circulation des fluides.
Des histoires, chaque corps en a à raconter et quand il s’exprime par la douleur, lui offrir la possibilité de les raconter sous une forme verbale ou physique est le premier pas vers le bien-être, car ces mémoires accumulées dans nos cellules, nos tissus, communiquent avec notre notre cerveau. Et celui-ci apprend vite les mauvais signaux !
Tous les maux ont une histoire, laissez-les se raconter, être reconnus. Et congédiés !
Et n’oublions pas que les belles histoires contribuent à notre bien-être et à notre santé !
Svenja Knecht
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